Nous dirigeons-nous vers une pasteurisation du camembert ?
Dans le milieu agroalimentaire, les débats autour du camembert, véritable symbole du fromage français, ne cessent de se déchainer. Après la résolution d’une véritable guerre autour de l’appellation « fabriquée en Normandie », c’est l’utilisation de lait pasteurisé, soutenu par l’industrie agroalimentaire, qui est aujourd’hui au centre du débat. Là où l’industrie agricole voit le lait cru comme un produit potentiellement dangereux pour les consommateurs, les producteurs de camembert normand et le milieu culinaire y voient une dénaturation totale du produit.
Un débat sur l’appellation du camembert
Après dix ans de bataille, la décision a été prise par l’ensemble des acteurs de la filière agroalimentaire sous l’égide de l’institut national de l’origine et de la qualité. En effet, le débat faisait rage quant à la lisibilité de la provenance des produits face à la coexistence de deux produits distincts : « camembert de Normandie » et « camembert fabriqué en Normandie ». Le premier est une AOP, une appellation d’origine contrôlée, qui met en avant un savoir-faire et des techniques de production bien spécifique travaillant avec du lait cru. Le second désigne le camembert plus industriel, dont la production est située en Normandie, mais pas les produits de constitution, et qui s’avère le plus souvent produit à base de lait pasteurisé.
Une AOP élargie
La résolution de ce débat a pris place sous la forme d’un nouveau cahier des charges, établissant une AOP élargie, mais supprimant l’appellation « fabriquée en Normandie ». Fortement orientée par les industries du secteur agroalimentaire, dont le géant Lactalis, cette décision a fait grand bruit. Ainsi on pourra désormais différencier le « camembert de Normandie » qui pourra être réalisé à base de lait pasteurisé, qui imposera un quota de 30 % de vaches normandes en ce qui concerne la production de lait. En parallèle, on retrouvera une appellation « véritable camembert de Normandie », qui viendra prendre la place de l’actuelle AOP avec ses critères plus stricts et son utilisation de lait cru.
Une décision vivement contestée
La décision est loin de faire l’unanimité. Les personnes réfractaires à cette mesure estiment qu’elle participe à creuser le fossé existant entre produits industriels agroalimentaires et produits « de luxe », et que l’on permet de moins en moins aux personnes moins aisées d’accéder à de véritables produits. Dans une tribune écrite dans le journal Libération : « C’est le camembert de Normandie AOP au lait cru qu’on assassine », de nombreux acteurs du paysage culinaire français critiquent vivement cette méthode, estimant que l’utilisation de lait pasteurisé dénature le produit, en modifiant sa texture, son goût et son odeur. Côté industriel, cette mesure permet de se débarrasser des chaînes de la production artisanale et de proposer un produit moins cher, plus facile à produire et donc plus accessible. Le secteur de l’industrie agroalimentaire souligne également un risque sanitaire moins important, rappelant notamment les récents rappels de camemberts infectés par la bactérie E.coli.
C’est donc une victoire pour l’industrie agroalimentaire, qui pourra désormais produire du « camembert de Normandie » pasteurisé. Le camembert au lait cru et moulé à la louche ne devrait pas pour autant disparaître, mais va devenir un produit plus rare, réservé à un public de connaisseurs.