Michel Guérard : portrait d’un artiste 3 étoiles qui vient de nous quitter

Michel Guérard dans son restaurant

Le chef français triplement étoilé Michel Guérard est décédé à l’aube du lundi 19 août 2024 dernier. Une perte énorme pour le monde de la gastronomie, sachant son apport inestimable pour l’art culinaire local essentiellement. Il faut dire que le nonagénaire a été l’un des principaux chefs ayant révolutionné l’univers de la cuisine dans les années 1970. Ce grand visionnaire a, en outre, été l’investigateur d’une gastronomie novatrice en proposant notamment des mets à la fois délicieux et diététiques. Voici le portrait complet d’un personnage emblématique de l’histoire culinaire française.

Le jeune Michel Guérard a abandonné ses études pour se concentrer sur la cuisine

Né à Vétheuil, une commune du Val-d’Oise, en 1933, Michel Guérard est le fils d’un boucher exerçant dans la région parisienne. Le jeune homme a délaissé très tôt ses études alors qu’il envisageait de devenir médecin. Celui-ci entreprend alors un apprentissage en pâtisserie dans la commune de Mantes-la Jolie, située à environ 50 kilomètres de la capitale

Selon ses propres mots, il a eu un style de vie relativement simple. Cela découle essentiellement du fait qu’il a vécu la guerre et ses terribles conséquences. L’homme parle surtout des pénuries alimentaires qui lui ont fait ressentir la faim à de nombreuses reprises. Il a aussi été frappé par le froid dont il a été victime à cette période. 

Sur le plan professionnel, Michel Guérard a reçu sa première distinction à seulement 25 ans, en devenant le meilleur ouvrier de France. À l’époque, il travaille d’abord au Crillon qui est un hôtel de luxe de Paris. Par la suite, il est recruté au Lido qui est un cabaret toujours localisé dans la capitale. 

Ce n’est qu’en 1965 qu’il lance sa propre affaire en rachetant un modeste bistrot affichant un style nord-africain. Cet établissement situé au nord-ouest de Paris n’attire pas tout de suite la foule, bien au contraire. Toutefois, après des débuts compliqués, le chef parvient à se faire un nom et les clients affluent de toute la région. 

Portant le nom de “Pot-au-feu”, son commerce est devenu célèbre par ses préparations, dont la “salade gourmande” figure parmi les plus appréciées. Autrefois appelée “salade folle”, cette dernière est particulièrement atypique, au vu de sa composition où la vinaigrette est remplacée par du foie gras

En 1974, Michel Guérard décide de s’installer dans la ville d’Eugénie-les-Bains, dans le département des Landes, situé dans le sud-ouest du pays. La localité est rattachée à la région Nouvelle-Aquitaine qui est réputée pour son terroir unique, dont son foie gras, ainsi que ses magrets et ses confits de canard. 

La réussite du chef a réellement commencé au Pot-au-Feu

Le premier commerce de Michel Guérard, le Pot-au-Feu, se situe plus précisément à Asnières. Au début, les habitants de cette banlieue ont eu peur de franchir le pas de porte de l’établissement. Le chef en personne affirme qu’il a fait entrer ses clients par la cour, car ayant disposé une table devant la porte d’entrée.  

Forte de ses plusieurs années d’expérience en tant que chef pâtissier, l’homme a enfin pu assouvir sa passion pour la cuisine proprement dite. Il propose dorénavant une gastronomie à son image. Pour revenir sur sa salade gourmande, ce fut l’éminent acteur Lino Ventura qui a eu l’occasion d’inaugurer sa dégustation.

Dès lors, les stars se ruèrent vers son humble bistrot. Cela a commencé par des figures locales, dont Catherine Deneuve, Alain Delon ou Jacques Brel. Les personnalités américaines eurent aussi vent de son adresse. Il a ainsi eu le plaisir d’accueillir un membre de la famille Kennedy, à savoir le sénateur Ted Kennedy

Pendant près de 10 ans, ce sont de grands noms du show-business qui se croisèrent au Pot-au-Feu. Ce fut un exploit que d’avoir transformé ce lieu initialement mal famé en un point de rendez-vous très prisé des grandes personnalités. 

Une autre anecdote émanant du chef confirme bien qu’il a même déjà eu affaire à des truands dans son bistrot. Un jour, un groupe d’amis s’est attablé ayant l’air de ferrailleurs. Le chef s’est rendu compte de la réalité seulement au moment de leur rendre leurs manteaux. Tous étaient armés, ce qui attestait de leurs activités malveillantes. Rapidement, il est courtisé de toute part et commence à offrir ses services de chef à plusieurs occasions

En 1970, un de ses clients du Pot-au-Feu ouvre un salon de coiffure non loin des Champs-Élysées. Ce dernier lui demande de créer des assiettes “minceur” pour les femmes qui se faisaient coiffer à l’heure du déjeuner. D’autres missions lui seront confiées et ne feront qu’enrichirent son expérience.

Michel Guérard et ses autres projets

Le chef remporte sa première étoile en 1967 et la deuxième arrive peu de temps après, à savoir trois ans après. En 1972, Michel Gérard ferme le Pot-au-feu, mais ne chôme pas pour autant. Il est très convoité, pour ne citer que l’offre de la chanteuse Régine. Celle-ci l’engage pour assurer l’ouverture de clubs à Moscou et à New York. 

Ce n’est que plus tard qu’il s’installe à la station thermale d’Eugénie-les-Bains appartenant à la famille de sa femme Christine. Ce précurseur du “bien manger” a également bâti sa réputation via ses deux livres intitulés La grande cuisine minceur et La cuisine gourmande. Ces ouvrages ont été publiés respectivement en 1976 et 1978.

Michel Guerard en compagnie de sa femme Christine dans un bureau

Ces livres ont été traduits dans plus de 15 langues et les recettes qui y sont présentées ont même été reproduites dans des émissions télévisées. Le public a ainsi pu découvrir des préparations uniques telles que le confit byaldi, par exemple. Il s’agit d’une piperade de tomates, de courgettes, de poivrons et d’aubergines grillées. Le tout est agrémenté d’une touche de vinaigrette. 

À titre informatif, cette recette a été reprise par le chef américain Thomas Keller qui en est le véritable popularisateur. Le film d’animation à succès La Ratatouille, sorti en 2007, en a aussi fait l’un de ses plats de référence. De plus, malgré les critiques, Michel Guérard a travaillé en tant que consultant pour le groupe Nestlé

En 2013, il a l’opportunité d’ouvrir l’Institut Michel Guérard qui est dédié à l’apprentissage de la cuisine de santé. Établi à Eugénie-les-Bains, l’école a pour mission de contribuer à contrer la prolifération de maladies chroniques relevant de la vie moderne (maladies cardiovasculaires, diabète, obésité, etc.). 

Façade de l'institut Michel Guerard

Actuellement, l’institut de formation est dirigé par sa fille Adeline, tandis que son autre fille Éléonore a réussi son cursus au sein de la prestigieuse école Ferrandi. Il semble bien que le chef a transmis sa passion à sa descendance. Il a aussi transmis son savoir-faire à d’autres grands chefs, dont son élève toulousain Michel Sarran, comptabilisant deux étoiles.

Michel Guérard : un chef qui a largement rendu hommage à sa région d’accueil

Grâce à une vision exceptionnelle de la gastronomie française, l’homme a facilement pu s’adapter à son département d’accueil que sont les Landes. Il a, entre autres, lié des liens particuliers avec les éleveurs, les producteurs et les gaveurs. Le chef avait pour priorité de rendre hommage au patrimoine local à travers sa carte. C’est l’une des nombreuses raisons qui feront qu’il manquera énormément aux Français, selon son ami et chef étoilé Jean Cousseau

Pour rappel, Michel Guérard a gagné son dernier et troisième étoile au fameux Guide Michelin en 1977. Il a également été le premier chef français à avoir fait la une du célèbre magazine américain Time. Par ailleurs, selon la majorité des autres chefs et divers critiques culinaires, celui-ci est l’un des cuisiniers les plus brillants du 20è siècle

Ce qui distingue particulièrement le chef étoilé est sa volonté de changer les habitudes en optant pour une gastronomie plus légère en sucre et en gras. Néanmoins, les plats doivent préserver toutes leurs saveurs pour procurer le plaisir tant recherché par les gourmets. C’est à force de persévérance que le chef a trouvé les solutions pour rendre ses créations moins caloriques et plus équilibrées

Il peut ainsi garder à sa carte le dessert tant prisé par les Français qu’est le Paris-Brest. Cependant, il a dû remplacer la crème au beurre pralinée par des blancs battus en neige avec un zeste de crème fouettée. Il a encore été en mesure de conserver le chou farci tout comme le cassoulet, mais bien évidemment avec quelques retouches. 

Selon ses dires, cette forte conviction d’offrir une cuisine “minceur” a été influencée par l’observation de curistes dans sa ville d’accueil.  Ce fut lors de l’un de ses premiers passages à Eugénie-les-Bains. Ces personnes se sont attablées devant une préparation toute simple à base de carotte râpée et de petites tranches de jambon.

Michel Guérard ou la bienveillance incarnée

Bon nombre de ses pairs s’accordent à dire que les paroles de Michel Guérard méritent d’être écoutées avec la plus grande attention. En effet, au contraire de certains chefs trop bavards, celui-ci impose le respect connaissant son expérience en or. Cela d’autant plus que sa réussite force le respect. 

Ainsi, lorsque les chefs se réunissaient, tous se tournaient vers lui pour entendre son point de vue. Malgré son âge avancé, l’homme n’a jamais changé d’attitude. Il évitait tout le temps de faire de la réprimande ou de faire la morale. Il aimait plutôt donner des conseils tout en restant à l’écoute de ses confrères. 

Ce sont surtout la jeune génération de cuisiniers qui buvaient ses recommandations. Malgré sa grande bienveillance, Michel Guérard a toujours fait preuve d’une extrême exigence. Sa façon de penser a quelquefois été mal comprise, mais ce dernier ne s’est jamais éloigné de ses objectifs. 

Pour révolutionner la gastronomie, il a été contraint, en outre, de comprendre le fonctionnement de l’industrie agroalimentaire. Son but était de cerner les principes de la protection des consommateurs afin d’œuvrer pour cette noble cause via son art. C’est à cette initiative que lui et ses homologues s’investissent dans le mouvement appelé “La Nouvelle Cuisine”.

Michel Guerard tenant une louche dans une gamelle

L’idée est de partager une cuisine à la fois savoureuse, saine et originale. Ces paramètres ont sans doute œuvré pour la longévité du chef dans le monde de la cuisine. De son vivant, lui-même n’hésitait pas à affirmer qu’il était indispensable d’aimer les autres, à savoir ses clients, pour réussir à percer dans le milieu. 

La disparition de cet être singulier marque ainsi une page qui se tourne, mais la relève est bien assurée. À noter également que Michel Guérard a été le plus ancien chef triplement étoilé du pays

Michel Guérard a pu compter sur sa femme pour le soutenir 

La rencontre du chef avec son épouse Christine Barthélémy a été décisive pour le couple. Tous deux ont décidé d’entamer une collaboration qui s’est avérée très fructueuse. Si sa femme a été censée héritée de la Chaîne Thermale du Soleil à Eugénie-les-Bains, les tourtereaux ont préféré ouvrir leur propre activité. 

C’est un ensemble de thermalisme et d’hôtellerie-restauration que le duo a ouvert en l’appelant Prés d’Eugénie. Le chef y développe son concept de cuisine minceur. Christine a été le véritable mentor intellectuel du chef qui est issu d’une famille d’éleveurs normands. Outre ses compétences de base acquises dans la boucherie familiale et en pâtisserie, c’est sa femme qui lui a tout appris. 

C’est à la suite de la fermeture forcée du Pot-au-Feu que le chef est poussé à trouver une autre adresse. Pour rappel, l’enseigne a dû être démolie par la mairie d’Asnières pour pouvoir élargir la rue. D’ailleurs, Michel Guérard a été hésitant quant à la reprise de restaurants, tels que le Maxim’s et le Laurent.

A la suite du mariage, le couple s’installe finalement à Eugénie-les-Bains. Le chef est certes de nature confiante, mais à ce moment donné, il a tout de même eu quelques inquiétudes. Il a quitté la capitale par amour, sans savoir exactement dans quoi il se lançait. Pourtant, il a été agréablement surpris par l’accueil que lui ont réservé les Landais.

Avec le succès du Près d’Eugénie, le couple élargit son champ d’action en 1993. Michel et Christine restaurent une ancienne auberge du village appelée la Ferme aux Grives. Avec son potager, le lieu a été l’endroit idéal pour promouvoir et ressusciter la cuisine du terroir. Désormais, l’établissement se présente comme l’une adresse de prestige et unique en son genre.

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